Oyonnax, résidence, semaine six

 

Déjà cinq semaines de passées depuis mon premier jour à Oyonnax. L’impression d’être un peu chez moi. J’ai mes repères et des habitudes, je connais des raccourcis et croise des visages que j’identifie.

Oyonnax a déjà imprimé une marque en moi.

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Six semaines et combien d’enfants rencontrés ?

Combien de doigts levés, de regards, de sourires, de stylos et de mots ?

 

 

 

Lundi 19 mars 2018

 

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Réveil peu avant 5H00.

Café, métro, train.

Lyon, Bourg, Oyonnax.

 

OYONNAX - PHOTO IC

 

J’ai hésité à embarquer mon polar dans mon sac déjà plein de livres parce que je l’ai presque terminé. Je ne lâche pas finalement, il vient avec moi. Je lis. Même dans l’autocar entre Bourg-en-Bresse et Oyonnax. A l’arrivée, voilà, roman achevé. Léger mal au coeur. Plus qu’à le ramener dans l’autre sens.

IMG_6361C’est une histoire de guerre économique dans un pays, la France, où la CIA fait ce qu’elle veut sans que personne ne l’en empêche pour permettre aux entreprises américaines d’avoir le champ libre et d’emporter les marchés. Tous les moyens sont bons : espionnage, chantage, assassinats. Des policiers français tentent d’alerter les autorités, Bercy, l’Elysée, mais en vain. Aucune réaction.

L’entreprise fleuron de l’industrie française dans un secteur aussi stratégique que le nucléaire et les énergies nouvelles est récupérée par les Américains. Toute ressemblance avec ce qui est arrivé à la branche énergie d’Alstom rachetée par General Electric est évidemment fortuite…

Cette histoire illustre bien ce qui est l’oeuvre aujourd’hui dans nos sociétés. La toute puissance des intérêts privés. Les ambitions particulières et personnelles, mesquines, minables, mafieuses. L’argent comme valeur dominante. La corruption partagée. L’impuissance du politique, la fatuité et l’ignorance de ceux qui sont censés diriger et protéger la puissance publique. Comme dit l’un des personnages, en désignant les responsables politiques ou économiques, tous sont vendus ou ignorants. Tableau noir, observation lucide d’un monde où il est compliqué d’être un fonctionnaire attaché au service public et de garder la foi face à la déliquescence des moeurs. Garder le cap même si ceux qui se goinfrent semblent bénéficier d’une totale impunité.

Les livres ne changent pas peut-être le monde. Ils nous aident en tout cas à aiguiser notre regard, à ne pas rester dupes et ignorants.

C’est dans cet état d’esprit que j’arrive à la classe relais.

 

 

9H30 rue Brillat Savarin. Ce matin, une nouvelle élève a rejoint le groupe. C’est Lena. Pas facile pour elle de se faire une place aux côtés de Kassim, Luis, Leonaldo et Wilhelm. Dernière séance. Les garçons, surtout Kassim, expliquent rapidement à Léna le but de notre atelier : écrire un abécédaire des lieux qu’ils aiment ou pas. Il leur reste huit lettres et donc huit mots sur lesquels ils doivent réfléchir et rédiger un petit texte. Pas évident de trouver des lieux pour X, Y ou même K. Ceux qui existent ne leur disent rien.

Aujourd’hui, c’est LUIS qui rame, qui se bloque, qui fronce les sourcils et qui évite le regard. D’abord, le voilà qui se met à écrire très vite sur un mot qu’on n’avait pas prévu, mais qui l’inspire, un paradis artificiel. Puis, le voilà qui n’a plus envie, plus d’idée. Il refuse tous les autres mots. Il faut changer de stratégie, l’éloigner des autres, le prendre quasiment par la main, lui arracher chaque mot de la bouche.

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Kassim aussi, on le met à l’écart du groupe, ça lui a réussi jusqu’ici d’être seul. Il écrit H pour hôpital, W pour Walibi, B pour bateau. Je me bats avec lui pour qu’il persévère, se concentre. il sait écrire, peut le faire. On parle aussi de ce qui est important pour lui, mais qu’il ne veut pas raconter sur le papier. On parle des mots, à quoi ils servent dans la vie quand on n’est pas écrivain.

 

 

 

 

Nous sommes quatre adultes (cinq à un certain moment). Ils sont cinq collégiens décrocheurs.

Ce matin, il y a Delphine, la prof, Claire qui l’aide, Carole, la responsable de la médiathèque, Betty, la coordinatrice de la classe relais qui intervient pour rappeler ce qu’elle attend de chacun d’entre eux.

 

 

Qu’ils s’y mettent, qu’ils s’investissent, qu’ils ne se contentent pas du minimum.

Leonaldo écrit sur le collège où il aimerait aller, juste à côté de chez lui, et où il ne peut pas aller car il n’a pas le niveau. Il écrit aussi sur l’usine. Et ce qu’il aimerait faire plus tard depuis qu’il a fait une visite en lycée pro la semaine dernière.

Wilhelm ne se fait pas prier. Il écrit J comme jungle, O comme Oyonnax.

Ensuite, il a l’impression d’avoir assez donné.

 

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Enfin, Léna, dans son coin, choisit les mots « village » et « maison ». De ce que je devine (mais je me trompe peut-être), son univers est aux antipodes de celui des garçons. Elle n’a pas atterri en classe relais à cause d’un comportement, d’une attitude, mais parce qu’elle rencontre des difficultés scolaires.

Finalement, il est déjà 11H30. Kassim réalise que je ne reviens plus. Mais comment on va faire sans vous ? Sourires.

Plus tard, Delphine, la prof, me dit que cette question de Kassil est un signe qu’il a accroché. Vraiment ? Un peu hébétée, je veux croire que ces trois séances ont contribué à faire avancer ces jeunes. La prochaine fois, ils recopieront les phrases de leur abécédaire avec Delphine sur l’ordinateur. Ensuite, ils l’illustreront avec leur prof d’arts plastiques.

Je serre la main de chacun des garçons. Au revoir discret de Léna. C’est fini.

Delphine, j’ai l’impression de la laisser en rase campagne, de déserter.

Avec ces garnements et tout ce qu’ils transportent avec eux d’histoires, de renoncements, de blessures, de colère, de vide aussi. Delphine, dernier rempart avec ses collègues, les courageux qui se coltinent l’âpreté (c’est un mot que j’ai piqué à Delphine) des jours, des heures de la classe relais.

 

OYONNAX - PHOTO IC

 

 

14H30. Lundi, c’est cinéma pour moi à OYONNAX. Plaisir d’habiter dans le Capture d_écran 2018-03-19 à 14.13.43bâtiment qui abrite les salles de cinéma. Je ne le sais pas encore, mais c’est exactement comme dans le film que je vais voir. L’héroïne habite au-dessus d’une salle où se hasardent parfois quelques spectateurs.

Quelques battements d’ailes et je file là-bas. Pas de pub. Pas d’attente. Ecran noir. Lumière. Je ne sais rien du film que je vais voir si ce n’est que la critique est dithyrambique et que le film a obtenu des tas d’oscars dont celui du meilleur scénario. Cet après-midi, cependant, je suis un peu récalcitrante, je résiste le plus possible avant de me laisser emporter par ce monde fabriqué de toutes pièces par le réalisateur. Je pense à Amélie Poulain. Un conte, évidemment. Ici, c’est l’Amérique. Les bons et les méchants clairement identifiés, enfin presque.

Quelle place pour ceux qui ne serait pas conformes au modèle de l' »American way of life » ?

Et l’amour dans tout ça, ça existe vraiment ?

Je sors emballée. J’ai vu un OVNI cet après-midi. Au bout de la rue, un rayon de soleil perce. Je me penche au-dessus de la scintillante Sarsouille, le rivière qui traverse Oyonnax. Mais aucun monstre n’en jaillit.

Ecrire ce soir.

Me débattre avec le téléphone qui sonne.

Me remettre à écrire.

Lire, une autre fois.

Remettre tout le reste à plus tard.

 

Mardi 20 mars 2018

Se réveiller pas aussi tôt que tous les autres jours.

Boire son café, répondre à un appel de la maison (où est le sèche-cheveux ?), écrire.

Puis poser le nez sur l’actualité : les morts en Syrie, des enfants, des civils, je m’étonne qu’il en reste encore, Sarkozy en garde à vue dans l’affaire de financement de sa campagne qui me renvoie vers la Libye, le désastre de Libye et les valises de billets ; un tiers des oiseaux français disparus en 15 ans, la faute aux pesticides qui tuent les insectes, plus rien dans le garde-manger des oiseaux (étonnant, non ? ) ; les journaux font du nouvel ennemi un titre à la une :  le gouvernement s’attaque aux fraudeurs du chômage. Quand on y regarde de plus près,  les chômeurs qui ne cherchent pas de travail ne représentent en réalité  qu’une infime partie des chômeurs et l’augmentation du nombre de contrôleurs chargés de les débusquer n’est rien en comparaison à la masse des chômeurs, cinq millions !.

 

Des mots, avalanche de mots pour décrire une réalité qui est autre.

Les mots pour enfumer et empêcher de voir ce qui est vraiment,

les mots pour diviser les gens,

les mots pour exacerber la haine insidieusement,

pendant que nous sommes sont occupés à nous regarder les uns les autres, à nous invectiver, voire à nous battre, nous ne voyons pas ce qu’il se trame réellement.

 

Mettre la musique à fond ou presque. La voix de Woodkid puis de Gregory Porter. Opter pour Vanessa Paradis. Trop doux. Se régaler avec l’insolente Lili Alen. FUCK YOU. L’INSOLENCE qui apaise.

Se laver enfin.

Ecrire et se retrouver bloquée. Encore. Douter. Effacer le doute et continuer.

 

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12H45. Centre culturel. Rendez-vous avec Isabelle de la médiathèque. Avec Lydie, elles alternent pour m’accompagner. Isabelle la Bretonne venue à Oyonnax pour Henri, son mari. Isabelle me dit les débuts difficiles au début, ici, le froid, la petite taille de la ville, elle qui venait de Saint-Nazaire, un peu perdue au milieu de tous ces gens qui se connaissent depuis toujours, depuis l’enfance. Heureusement, les amis de son mari l’ont bien accueillie, l’ont aidée à s’acclimater.

Aujourd’hui, action commando au collège Jean Rostand. Compte à rebours enclenché. Si on veut aller au bout de notre projet avec Anne-Cécile, la documentaliste, et Julie, la prof de français.

 

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Mon objectif du jour : terminer quatre textes avec leurs auteurs. Je les prends un par un. Je relis avec eux, je corrige, je gribouille, je suggère, ils opinent ou pas, ils proposent, ils changent.

 

 

Khalid m’annonce qu’il a changé d’histoire. Je lui dis : tu étais un peu désespéré la semaine dernière ? Le garçon hoche la tête. Oui, il était bloqué. Je lui réponds que je le comprends bien parce qu’aujourd’hui, c’est ce qui m’arrive.

Drita lit. C’est doux de l’entendre. Drita la délicate, la discrète, l’inquiète, la rêveuse. Quand elle lit, je l’imagine très bien dans une autre vie, assise sur le rebord d’une fontaine au milieu d’un parc.

J’aime bien la fin de l’histoire de Mamadou. Je le lui dis. Il sourit. Plus tard, Anne-Cécile me confie qu’il sourit de plus en plus ces jours-ci. Et elle me rappelle qu’il n’est arrivé en France qu’en décembre dernier.

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Quand les élèves sont partis, Anne-Cécile m’interroge tout à coup : Isabelle, est-ce que tu te sens encore journaliste ? J’hésite. La question me prend au dépourvu.

Finalement, je réponds oui, je ne lui dis pas que journaliste, pour moi, c’est un métier certes, des techniques qui s’apprennent bien sûr, mais surtout un état d’esprit, une façon de regarder, de s’interroger que je porte en moi depuis toujours.

En partant, Isabelle s’étonne de toute cette énergie absorbée pendant les 90 minutes passées au CDI avec les élèves : qu’est-ce que ça vide ! Je confirme. Tout à coup, j’ai une faim de loup. Pourtant, ce n’est vraiment pas encore l’heure du goûter.

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15 heures. Retour à l’appartement. Je constate que j’ai perdu une paire de boucle d’oreilles, en ai déjà cassé une paire la semaine dernière.

Oyonnax, résidence des boucles d’oreilles disparues.

 

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Préparation de l’atelier d’écriture du soir. Thème officiel imprimé sur les affiches : Carnet de bord / Journal intime. Ecrire pour soi, écrire pour les autres.

Plusieurs semaines que j’y pense, que je lis, que j’empile Duras, Kafka, Penac, Ernaux, Barthes, Juliet. Il faudrait choisir un ou deux textes, deux auteurs maxi et s’en tenir là. Mais je ne peux pas. J’ai horreur de choisir. Je prends mes bouquins. J’ai de quoi tenir une journée au moins. SMS de Carole : on vous attend ! J’arrive, j’arrive, je suis déjà là.

 

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18H00. J’ai le trac. Je souris. Pour moi, un atelier, c’est une expérience rare. Un moment suspendu. Visages connus et inconnus. Est-ce que je vais réussir à les entraîner avec moi ? Est-ce qu’ils vont se sentir en confiance et réussir à se lâcher, à se donner ?

La table est là, longue et rectangulaire, mais elle ne suffit pas. Il faut d’autres chaises, une autre table.

Voilà, regards posés sur moi, un seul homme, à ma gauche, et des femmes. La plus jeune est sans doute celle qui a à peine trente ans. Quelques uns ont l’expérience des ateliers. Mais pour la plupart, c’est la première fois.

J’avais prévu de parler de la semaine de la francophonie, j’oublie. Je préfère lire, parler un peu de ce qui se passe en nous quand nous écrivons un journal.

Puis c’est la consigne. Le moment d’écrire.

 

Lecture des textes. Moment délicat et émouvant. Révélation soudain pour certains qui se découvrent capables d’écrire, de trouver les mots. D’autres se sentent à côté de la plaque, hors sujet, pas comme les autres et s’étonnent quand on leur dit que ce n’est pas le cas, que ce que les mots trouvés nous touchent, nous intéressent.

 

Voici des extraits des journaux que leurs auteurs ont eu la gentillesse de m’envoyer :

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JOURNAL BLANC

Je t’ai réveillée juste avant que tu ne m’entendes.

Bruit blanc.

C’est toi qui a parlé ; il y a eu comme un blanc.

Tu demandes ; tu réclames ;tu danses ;

tu fais des pointes ;

tu m’impatientes ; ta blancheur vibre.

Je t’ai regardée me regarder dans le blanc de mes yeux ;

ton regard est majesté.

Tu n’as pas répondu.

 

 

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JOURNAL BLEU ET ROSE

Dimanche

Une journée de pluie et de brouillard. L’ennui n’est pas loin. Et puis l’ambiance bascule. Il suffit d’un bruit sourd. Je reconnais les pleurs. Ce sont ceux qui plongent en profondeur dans mon ventre de maman. Ceux qui disent qu’il y a une vraie douleur. Ceux qui tétanisent. Ceux qui font lever la tête à la panique.

Du sang mais rien de grave pourtant.

 

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Mardi

Rose et bleue. Une couleur pour chaque basket. Une à toi. Une à ta sœur. Elle sera un peu avec toi à l’école, à la récréation, quand tu seras en train de courir. Courir pour échapper aux garçons. Ces garçons qui veulent jouer à la guerre. A la guerre pour que tu sois morte, toi qui ne veux pas être morte. Tu as voulu deux couettes, deux élastiques roses. Deux couettes qui éloignent les garçons quand tu tournes la tête en tout sens. Deux couettes pour montrer ta colère, pour dire non.

 

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JOURNAL JAUNE

Samedi 17

Aujourd’hui, je me suis occupée de moi. J’ai besoin de me poser, mais en hauteur, pour respirer. Alors c’est décidé, j’embarque tout le monde dans mon sac à dos. J’en ai tellement besoin que personne ne rechigne.

Qui oserait rechigner face à un pique-nique le nez dans les Alpes enneigées ?

Bleu en haut, blanc en bas et plein de lumière partout. Merci pour cette photo.

Dimanche 18

Simplement recharger les batteries.
Mais pourquoi le ciel reste t-il gris et mouillé ?

Alors je décide de mettre du soleil dans ma journée, toute seule comme une grande.

 

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JOURNAL GRIS

Lundi 20 :

18h05. Que t’arrive-t’il mon enfant ? Tout part d’un détail de ce jour. Mais la plaie est plus profonde.Je le sens.
Tu rentres épuisé de l’école. Vanné. La maîtresse une fois de plus t’a privé de récréation en t’obligeant à refaire un exercice de géographie. Elle va vous faire exploser si elle continue…La récré c’est une soupape de sécurité à votre âge.
Tu pleures. Tu déverses tes torrents…D’amertume, d’humiliation…
Mal-être du mal-aimé incompris et rejeté…
J’inonde moi aussi. M’abîme en ton chagrin. Trop mal…
Tu te roules par terre. Fondu.
J’ai mal au bide…

J’aurai le sentiment d’avoir perdu mon fils ce soir.
Je ne sais plus te consoler…

 

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Parmi les participants, Evelyne nous a apporté les livres qu’elle a confectionnés à l’atelier gravure du centre culturel. De pures merveilles. Là, Evelyne réfléchit : quel genre de livre élaborer pour sa petite-fille qui vient de naître ?

 

 

 

 

Mercredi 21 mars 2018

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Le jour gorgé de soleil

La vie engrange ses rayons

Nuages sur mes crayons

Nostalgie d’abeille

 

 

 

Réveillée trop tôt. Ecrire dans son lit. Isabelle qui m’accompagnait hier au collège m’a confié qu’elle aussi aimait rester dans son lit et y mener toutes ses activités à moitié couchée. Moi j’écris.

Déjà des textes de l’atelier d’écriture d’hier soir dans ma boîte mail. Merci.

 

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Passage à la médiathèque encore bouclée. Je retrouve Aline. On parle de l’atelier d’écriture d’hier. Aline me parle de ses rêves qui la font réfléchir, agir aussi.

J’aime la fantaisie d’Aline tout de rouge vêtue.

 

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Pause déjeuner avec Anne-Cécile, la documentaliste du collège Rostand. Avec Anne-Cécile, on a pas mal de points communs, d’abord le même âge et des tracés de vie qui se croisent. Et le même signe astrologique, ça compte !

 

 

Retour à la médiathèque. Maria trop contente de me glisser ce que les participants de l’atelier d’écriture ont écrit juste après.

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Jeudi 22 mars 2018

Je me réveille avec le mail d’une libellule. Elle était de ceux qui ont participé à l’atelier d’écriture de mardi soir.

Cette libellule m’émeut. Son écriture aussi. J’entends sa voix quand elle écrit.

Froissement d’ailes, frémissement d’oisillons dans le nid, petits pois dans la neige.

Elle m’écrit :  » (…) besoin d’écrire, d’extraire avec justesse et sincérité ce que je ressens. En sentiments, émotions. Et je n’ai aucune imagination. aucune culture. Enrobage impossible.
L’humour, si par contre. Et quelques métaphores.
Mais l’urgence sans doute pour moi est d’évacuer. L’écriture comme exutoire? Baume cicatrisant et lénifiant?
Catalyseur de mes tortures intérieures et de mes questionnements sur le monde et l’Humain?
J’ai honte . C’est très égocentré tout de même. »

Je ne crois pas, chère libellule, pas toi, écrire sur soi, pour soi, être prêt à donner de soi et regarder les autres, partager avec eux.

Merci pour ce mot.

A la radio de service public, on me dit que le patron d’une grande firme américaine de voitures électriques va bénéficier d’un salaire de 56 milliards sur cinq ans. On ajoute que ce patron a à peu près mon âge.

Même les plus capitalistes sont choqués. Moi, j’aimerais bien avoir une voiture électrique, une grande voiture électrique pour y mettre toute ma famille, mais les voitures de cette firme électrique ont un prix que je ne peux pas payer. Pourquoi ne pas baisser le prix des voitures plutôt que de se verser des salaires qu’on ne pourra pas dépenser à moins de saccager la planète ? Car quel humain peut vraiment dépenser 56 milliards ?

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A la radio toujours, celle qui ne met pas encore des pubs sur le service public, j’écoute un scientifique du musée expliquer que si on changeait toutes les façons de produire de l’ensemble de la filière agricole (et pas seulement la façon de travailler des agriculteurs), les oiseaux qui ont disparu depuis 15 ans reviendraient.

Le problème n’est pas qu’ils meurent prématurément, mais qu’ils ne naissent plus.

 

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J’avance bien aujourd’hui sur mon roman. Quelque chose s’est débloqué.

 

 

 

Echange de messages avec Anne-Cécile qui m’envoie les textes de ses élèves et des propositions d’illustration pour le livre qui rassemblera leurs écrits.

 

Capture d_écran 2018-03-24 à 06.45.21Je finis le livre de Guillaume Ancel, mon livre de la semaine, entamé hier après-midi. Le témoignage d’un militaire engagé dans le cadre de l’opération Turquoise au Rwanda entre fin juin et début août 1994.

A deux ou trois jours près, j’aurais peut-être croisé ce militaire sur le tarmac de l’aéroport de Goma au Zaïre (aujourd’hui la RDC). Moi, cet été-là d’après génocide, je suis arrivée début août pour travailler pour Reporters sans Frontières, ma première vraie expérience du métier de journaliste. J’avais 23 ans et j’avais suivi les événements qui s’étaient déroulés au Rwanda depuis avril. Je savais plus de choses que d’autres, mais je ne savais pas grand chose en réalité.

J’avais dans la tête tous les mots des gens interviewés depuis Paris et qui au Rwanda vivaient l’horreur, la décrivaient, des massacres qu’on a mis du temps à définir, un génocide en réalité. Le dernier génocide du 20ème siècle, le seul qu’on aurait pu éviter et contre lequel rien n’a été fait.

Goma - Photo Isabelle COLLOMBAT - 1994

Au contraire.

On sait tout ça maintenant. La France peut réellement être accusée de complicité de génocide. Officiellement, c’est toujours le brouillage radio. Dès qu’un livre, une étude, un reportage le documentent, des voix s’élèvent pour dénoncer les calomniateurs.

Guillaume Ancel le sait plus que quiconque. En 1998, lors de la pseudo mission d’information parlementaire, on l’a dissuadé de parler.

Il a écrit un livre pour que son témoignage reste, ne s’efface pas.

Son livre apporte le regard d’un militaire qui a vécu de l’intérieur les ordres décidés par quelques responsables politiques et une poignée de hauts gradés qui ont soutenu jusqu’au bout un gouvernement génocidaire, qui l’ont aidé à s’enfuire, qui ont tenté aussi de réarmer ses troupes. Quelques personnes qui ont engagé toute une armée, tout un pays. L’honneur de la France.

Ce qu’a vécu Guillaume Ancel n’est évidemment pas tout à fait conforme à la version officielle.

 

Vendredi 23 mars 2018.

France Culture, 5 heures et des poussières.

Je repense à la question d’Anne-Cécile : est-ce que tu te sens journaliste ?

Hier exceptionnellement, j’ai regardé la télé pour entendre l’ancien président se défendre et, ensuite, les invités des chaînes info commenter son discours, ses propos. Décidemment, il ne faut pas chercher d’esprit critique à la télé, du moins sur ces chaînes-là. J’ai éteint assez rapidement.

J’écoute donc sur France Culture la journaliste Florence Aubenas dire que, pour elle, un des grands enjeux du journalisme aujourd’hui, c’est la place du journaliste : où est-ce qu’on est quand on est journaliste ?

Avant, l’objectivité, c’était de ne jamais dire « je » et de disparaître.

Je ne suis pas certaine que cette façon de faire est la plus intéressante pour celui qui veut s’informer. Je préfère quelqu’un qui me dit d’où il parle, qui assume un point de vue, un regard plutôt que ces pseudo journalistes objectifs qui ne sont jamais ni pour ni contre, ni blanc ni noir, mais gris et tiède et qui véhiculent malgré les apparences une idéologie.

Personne ne parle de nulle part.

Au Rwanda, en 1994, les observateurs ont régulièrement renvoyé les deux camps dos à dos pour ne pas reconnaître qu’il y avait des bourreaux et des victimes.

 

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Fin de l’après-midi. Dernier message d’Anne-Cécile. Avec Julie, elle trouve que la dernière illustration proposée par Lucien, un élève de troisième, est vraiment chouette. J’approuve.

 

La radio encore. France Culture. Ecouter le reportage « Never again, le combat des lycéens de Parkland« .

 

La sixième semaine se termine.

Je suis chez moi Oyonnax dans la tête.

 

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