Des figures, des combats : l’écologie racontée aux ados

Certains collégiens et lycéens que je rencontre autour de mes livres en ont parfois assez qu’on vienne leur parler de biodiversité ou d’environnement saccagé. Abreuvés de messages moralisateurs sur le même thème : « Notre planète est menacée, il faut la protéger ». Matraqués depuis toujours par un discours souvent purement abstrait sur « le péril écologique » qui se confond avec des slogans publicitaires mensongers.

Pourtant, c’est bien d’écologie dont je viens désormais parler aux adolescents dans leurs classes. Je leur raconte, avant tout, des histoires. Celles d’hommes et de femmes qui ont, malgré les dangers et les risques, consacré tout ou partie de leur existence à la défense de l’environnement. Parmi eux, le syndicaliste brésilien Chico Mendes et la biologiste américaine Rachel Carson. A priori, deux figures très différentes. L’un, avant d’être assassiné en 1988, se bat contre les tronçonneuses des riches propriétaires terriens en organisant des manifestations pacifiques. La seconde, écrivaine à succès, décrit, dans son livre paru en 1962, « Printemps silencieux, les conséquences désastreuses d’un usage intensif des pesticides.

Chico Mendes et Rachel Carson ont plus d’un point commun. D’abord, ils ne se contentent pas d’alerter, de dénoncer mais tentent, chacun à leur façon, d’agir pour changer le cours des choses. Ils s’efforcent de  modifier les lois, qui structurent l’économie et la société. Ensuite, ils ont, tous les deux, été élevés dans des familles pauvres. Chico Mendes est le fils d’un ouvrier du caoutchouc de la forêt amazonienne, obligé de travailler dès 9 ans, ce qui ne l’empêche pas de s’indigner d’une existence à la merci de propriétaires terriens qui exploitent son père, la forêt et ses habitants, pour leur unique profit, en les piétinant. En Pennsylvanie, Rachel Carson, elle, ne connait pas une telle misère. Si sa mère lui apprend très tôt à aimer les livres et à observer la nature, elle a bien conscience, cependant, que ses parents consentent à d’énormes sacrifices pour lui permettre d’étudier. La mort de son père l’empêche d’achever son doctorat en biologie : elle doit aller travailler pour faire vivre sa famille.

Au-delà de cette précarité économique, Rachel Carson et Chico Mendes ont su, devenus adultes, garder intacts l’émerveillement, la joie et l’indignation de l’enfance, carburant indispensables de la lutte pour le vivant. C’est cela que je tente de transmettre dans mes livres.

Raconter l’itinéraire d’individus qui se sont engagés contre la destruction de la nature, c’est, pour moi, une façon de montrer aux adolescents que la défense de l’environnement n’appartient à personne. D’où qu’ils viennent, ils peuvent s’inscrire dans cette histoire et se sentir concernés, conscients que ce qui est en jeu, dans ce combat qui dépasse les pays, les sexes et les cultures, c’est notre nature même d’êtres humains.

Le récit de ces existences me permet de leur montrer que l’écologie n’existe pas indépendamment du reste de la société, de l’économie ou de la politique comme l’illustre d’ailleurs la pandémie du coronavirus. Défendre la nature, loin du « green washing », c’est forcément remettre en question la façon qu’ont les êtres humains de s’organiser et de vivre ensemble, c’est dénoncer un système économique mortifère et des inégalités sociales insupportables, tout une chaîne de dominations qui doit être abolie. Décrire cette réalité, c’est donner des perspectives et un horizon aux adolescents, des armes pour affronter le monde tel qu’il est, car les combats de Rachel Carson et de Chico Mendes sont toujours actuels.

Isabelle Collombat,

Cette chronique a été écrite à l’invitation des éditions Actes Sud Junoir dans le cadre du festival « Agir pour le vivant ». Elle est à lire sur le site du journal Libération.