Quand la résidence d’auteure mute et se transforme en télé-résidence d’auteure
J’ai effectué mon dernier aller-retour Paris-Dole. J’ai vécu, vendredi 13 mars en particulier, une expérience étrange dans les deux établissements scolaires où j’anime un atelier d’écriture depuis décembre dernier.
C’était l’effervescence dans les collèges de Tavaux et de Damparis. Un bourdonnement de ruche. Regards ronds et étonnés, ahuris.
Est-ce que le monde pouvait changer en une nuit ? Est-ce qu’il avait réellement changé ?
La veille au soir, le Président de la République avait annoncé la fermeture de tous les établissements scolaires et de toutes les universités en France. Les profs sur le pied de guerre s’agitaient en tous sens pour tenter d’assurer cette fameuse continuité pédagogique. Distributions de livres, de photocopies, d’imprimés en tous genres. Consignes à la pelle. Explications répétées. Éléments de langage ministériels relayés sans cesse. « Attention, ce ne sont pas les vacances ! avertissait-on les enfants. Il faudra se lever et s’organiser pour faire les devoirs. En pyjama peut-être, mais les devoirs quand même ».
Aucune date, aucun calendrier. Aveux d’ignorance.
Moi-même, je me trouvais dans un drôle d’état, ayant hésité encore le matin à faire demi-tour, alertée par des messages venant d’Italie et d’Europe de l’Est qui dénonçaient l’inconscience des autorités françaises et la mienne par conséquent. Pourquoi n’avais-je pas annulé ce déplacement dans le Jura ? Pourquoi n’avais-je pas renoncé et n’étais-je pas restée, moi la mère de famille ?
Je me revois donc vendredi au milieu du tourbillon. Premier atelier le matin. Et si c’était la dernière fois ? Et si notre projet s’arrêtait là, inachevé ? Éclats de voix, rappels à l’ordre. La gorge qui s’effiloche, le front qui plisse. Les élèves ont la tête ailleurs.
Entre deux séances, avec Émilie Corne de la médiathèque de Damparis, nous mettons au point une stratégie. Trop dommage de tout arrêter là. Trop dommage que les ateliers d’écriture ne puissent pas déboucher sur un résultat concret. Et si la résidence se poursuivait d’une autre façon ? On réfléchit ensemble et je propose une nouvelle méthode de travail, à distance bien sûr, mais sans perdre le lien.
Second atelier dans l’après-midi et le miracle s’accomplit. Malgré les réunions de crise entre midi et deux de leurs profs, malgré les nouvelles qu’on égraine, l’atelier est une bulle hors du temps. Une bulle d’amnésie. Occupés par leurs histoires extraordinaires, les élèves oublient pendant deux heures le covid-19 et la pandémie. Et moi aussi.
Plus tard, le réveil est un peu douloureux. Retrouver la réalité, affronter l’ennemi invisible, se laver les mains encore et toujours. Mais l’atelier n’est pas fini et la résidence se poursuit. Autrement. La résidence mute et se transforme en télé-résidence.
Me voici donc depuis quelques jours en télé-résidence d’auteure dans le Jura depuis ma maison de la région parisienne. J’innove. Physiquement ici, virtuellement là-bas. Comme tous les auteurs qui sont parents, je me retrouve à tenter d’écrire et à faire la classe en même temps. C’est impossible. Je m’en veux de ne pas être assez détachée, à être assez productive. Il faut grappiller un peu de temps, le matin très tôt. Le soir tard, je ne peux pas. Parfois, il faudrait se contenter d’une phrase, de quelques mots.