Lundi 26 mars 2018
6 heures, France Culture. Je découvre un auteur, poète slameur, Marc Alexandre Oho Bambe. Camerounais, en France depuis vingt-cinq ans. Envie de le lire.
Il cite René Char
“ Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront. »
puis Aimé Césaire
« La justice écoute aux portes de la beauté »
qu’ils découvrent à l’adolescence et qui changent sa vie.
Dans ma boîte mail, de nouveaux textes de l’atelier d’écriture de la semaine dernière. Des textes dans lesquels scintillent des pépites.
Extraits.
JOURNAL NOIR
Lundi 19 mars 18
L’autre Luigi a sonné en bas. Il veut monter. Je ne l’aime pas,
Mais je veux bien descendre pour une balade.
Finalement je peux approcher l’homme, déjà l’approcher.
Tu es venu Luigi me tirer de ma taverne.
Tu es venu. Il y a longtemps que je ne t’avais vu.
Je t’ai vu l’autre jour à la bibliothèque et je t’ai fui.
Oui, je l’avoue. J’ai profité de ce que tu ne me voyais pas
Pour me cacher dans les rayons, éviter ton regard.
Eviter ton insistance à me voir.
Je suis restée dans le noir.
Et aujourd’hui, je t’ai dit oui
L’orange de ma vie se réveille.
Eclatant d’étincelles rougissantes.
Le soleil a percé le noir de la pluie
Le noir de mon âme en deuil,
A rester travailler l’œuvre au noir des rêves
Sans jamais voir personne,
Recluse pour mieux me concentrer.
Parfois je broie du noir, toute seule.
J’aime le noir de la nuit qui m’enveloppe le soir,
Le noir de l’écran de mes rêves.
Il faut plonger loin dans la noirceur de son intérieur
Pour en ramener la lumière
Puis c’est le
JOURNAL ROUGE
Tu vois ce matin, c’était massacre au poulailler ! Toutes tuées mes poules, saignées ! et pourquoi ? Pour deux têtes coupées ! Quel gâchis ! Et bien ça sera rouge la couleur de la journée, rouge sang, pas rigolo comme début de journée !
Après permanence à la mairie, pas trop fun non plus et pas facile d’y trouver du rouge ; ah si ! : bleu , blanc, rouge ! Réussi tu vois !
Midi et demi : retour au bercail. Gros câlin à mon énorme chienne « léonberg » très douce mais pas du tout rouge. Préparation d’une choucroute maison pour ne pas qu’elle s’abime pace qu’en ce moment, mes fils pour lesquels je cuisine ne sont pas souvent présents : ils récoltent la sève de bouleau qui n’est pas rouge non plus mais transparente voir blanche. Le ciel était bleu et c’est plutôt rare ces temps-ci, alors où est passé le rouge ?
Echange avec Julie, la prof du collège Jean Rostand, qui m’envoie les derniers textes de ses élèves. Je lis, corrige, raccourcit. Jeudi, ils s’entraîneront à lire leurs histoires. Pas évidemment pour eux qui n’ont que quelques mois de français. Leurs phrases doivent être courtes et percutantes pour les aider à dire, prononcer, articuler.
Ces textes, bien sûr, je les connais tous. Sauf celui de Walid qui a tout changé, tout refait. Exit son histoire de chevalier, de monstres et de zombies qui le désespérait parce qu’il ne savait pas comment la mener. Je découvre avec émotion un récit de transmission, l’histoire d’un petit garçon et de sa rencontre avec un professeur qui va voir autre chose chez lui qu’un élève difficile.
Je demande dans un mail à Anne-Cécile et Julie s’il a écrit seul.
Mardi 27 mars 2018
8H00. Camaïeux de gris. Brumes, brouillards. Soleil absent. Montréal-la-Cluse. Je suis en avance. Je me pose sur un terrain vague, consulte des messages. Une fillette sort de nulle part. Grosses lunettes, tresse, sac à dos. Regard à droite, à gauche. Elle traverse le terrain vague jusqu’à la rue qui l’emmènera au collège. D’autres silhouettes surgissent à leur tour.
8H30. Le collège Théodore Rosset. Je trouve Anne-Cécile du collège Rostand qui vient partager avec Jill sa pratique du CDI. Elle me confirme que Whalid a écrit son texte tout seul.
Deuxième séance avec les 6èmes de Bertrand. Premier demi groupe. Je leur avais demandé de prendre trois quarts d’heure pour reprendre leurs textes. La plupart n’ont rien fait, ça ne m’étonne, ça me déçoit un peu.
Mais qu’est-ce que je m’imaginais ? Qu’il suffisait d’arriver dans leur collège et de leur demander d’écrire pour qu’ils écrivent. Un atelier est un atelier. Je n’avais pas à leur demander d’en déborder. Je les secoue un peu. Je leur demande leur âge, leur dit qu’à onze et douze ans, on est capable de prendre des responsabilités, de comprendre. Ce que je leur avais demandé n’était pas un devoir, mais une expérience littéraire. L’un d’eux se justifie très étrangement. Réécrire ne serait pas dans ses habitudes, réécrire le couperait de toute se créativité. Je hoche la tête, dubitative. Je leur lis un extrait de Chico Mendes : « Non à la déforestation »; leur raconte de ce petit garçon de neuf ans qui comprit, en travaillant avec son père dès l’aube, la nécessité de se battre pour l’Amazonie et tous ses habitants. Puis je leur donne ma consigne. Ils peinent, ils souffrent. J’enfonce le clou. On lit. La sonnerie retentit. Pause, c’est la récré. Ouf, ce matin, c’est physique de tracter douze élèves.
10H00. L’autre partie de la classe. Ils ont presque tous retravaillé leurs textes, à part Ali et Anthony. Je préviens ces deux-là : je ne vais pas les lâcher et, tout à l’heure, je vais leur demander en premier de lire le texte qu’ils ont écrit.
Là je ne lis aucun texte, je vais directement à l’essentiel : ma proposition d’écriture. Ils me posent de nombreuses fois la même question : On a le droit d’inventer ? Ben oui, c’est ce que je vous demande, d’inventer l’aventure.
Anthony et Ali se mettent à écrire comme s’ils étaient affamés de mots. Ils écrivent des phrases et des phrases, des tartines.
Plus tard, Bertrand, le prof, s’étonne : Anthony a non seulement écrit et ne l’a jamais fait aussi bien. Il y a de l’action dans son récit et des phrases qui tiennent la route. Ali aussi a fait des phrases. Progrès. J’aime bien le texte d’Inès, très cinématographique. Lucille reconnaît qu’elle ne croit pas à ce qu’elle a écrit et, du coup, ça s’entend.
16H30. Petit tour à la médiathèque avant de me promener. Arrêt d’abord en secteur jeunesse. Belle affluence. Des papas et des mamans avec leurs enfants. Lydie m’embrasse. On se dit qu’avec le temps qu’il fait ce n’est pas demain la veille qu’une escapade en-dehors d’Oyonnax sera bientôt possible. Maria arrive à ma rencontre. Bises aussi. Je veille à ne pas parler trop fort en secteur adulte car je me suis déjà fait gronder par une vieille dame qui n’aime pas qu’on parle fort. Carole m’indique que cette dame est du genre bougon.
Mercredi 28 mars 2018.
Hommage national et marche blanche. D’un côté le gendarme, héros, mort pour la patrie, décoré et honoré; de l’autre une vieille dame rescapée de la Shoah, autant dire une grand-mère, assassinée parce que juive comme des enfants, des femmes, des hommes le furent il y a plus de soixante-dix ans.
Flux d’images, de pensées et d’émotions.
Les mots du fils de Mireille Knoll, la vielle dame juive, résonnent en moi. La douleur, le chagrin ne débouchent pas forcément sur la haine :
« Tous les gens qui ont une mère peuvent me comprendre, or tout le monde a une mère. »
« Personnellement, j’appelle toutes les personnes de bonne volonté, d’où qu’elles viennent, quelles qu’elles soient à venir à la marche. Si ces personnes veulent venir, elles sont les bienvenues. On ne peut pas faire de la sélection dans un cadre comme celui-là. »
« Tout le monde est concerné et il n’y a pas de limite, je suis contre les limites »
Quand je les entends, je pense aux mots prononcés quelques jours auparavant par la mère du gendarme Arnaud Beltrame :
« Il aimait la vie, la famille…. » « S’il l’a fait, c’est parce que les conditions le permettaient : il a vu quelqu’un qui mettait la vie des autres en danger. C’était évident qu’il allait agir ».
« Montrer qu’en France, on n’est pas décidé à se laisser faire, que ça réunisse tout le monde. Autour de valeurs paisibles. »
« Et j’ai envie de dire : qu’il ne soit pas mort pour rien ».
Depuis hier, des idées dans ma tête pour mon roman, ça ne colle pas, je doute de ce que j’écris; je doute de tout. Le manque de sommeil fait des ravages.
Il faudrait que la résidence d’écrivain soit une bulle. Mais parfois ça ne fonctionne pas. Parfois le dehors s’immisce à l’intérieur. L’Internet, le téléphone et le reste de la vie se font la courte échelle et rentrent dans nos têtes, dans nos journées.
Parfois, on voudrait tout verrouiller.
Jeudi 29 mars 2018
Jour de grande lessive dans le parc qui jouxte la place de la gare. Des dessins d’enfants accrochés entre les arbres sur des fils avec des pinces à linge.
Je perds tout cette semaine. Fatigue. Heureusement, un agent SNCF se démène. Un autre met la main sur mon sac, l’intercepte dans le train parti pour le Nord-Est de la France et lui évite l’explosion version Vigipirate puis le confie à un de ses collègues qui passe le mot à un autre et qui le garde en attendant me le réexpédier. C’est un truc qu’on les cheminots d’être solidaires même en-dehors des clous s’il le faut, ils savent faire.
Il y a des gens quelque part sur lesquels tu peux compter et tu ne les savais pas.
12H45. Lydie m’attend. En route pour le collège Jean Rostand.
13H00. Ils sont là. Manque Drita. Dommage. Aujourd’hui, ils doivent s’entraîner à lire les textes qu’ils ont écrits et qu’ils enregistreront mardi en vue d’un passage à la radio locale.
Je dis à Walid que j’ai vraiment apprécié son texte. Comment a-t-il fait pour changer et proposer un autre texte aussi bien ? Il me répond que sa maman l’a aidé, surtout au début, pour lui permettre de trouver un sujet. Je lui souris, je lui dis qu’il a de la manche d’avoir une maman qui sait faire ça, souffler des idées, encourager. Son visage s’illumine.
Avec Lydie, Julie, Anne-Cécile, la documentaliste, on se répartit les élèves pour leur permettre de lire et relire. Un défi immense. Imaginez que vous veniez de débarquer dans un pays étranger et que quelques mois plus tard, on vous fasse écrire une histoire avant de vous la faire lire pour la radio ! C’est ce que nous leur demandons de façon complètement insensée, mais fantastique aussi parce que, du coup, ils sont très motivés et très engagés dans le projet.
Lydie qui découvre certains textes s’émeut en les entendant, surprise de découvrir ce qu’ils y ont mis.
14H30. Le temps est une étoile filante avec ces enfants. C’est déjà fini. Anne-Cécile m’emmène dans la classe de 3ème F, la classe de Delphine avec qui j’ai travaillé dans le cadre de la classe relais. Là, c’est autre chose. Les collégiens me posent des questions sur le journalisme et sur mon itinéraire de reporter devenue auteure de littérature jeunesse. A la fin, une fille me remercie. Delphine s’étonne : « C’est incroyable de ta part. D’habitude, tu n’écoutes jamais en cours! » « Oui, mais là ce n’était pas pareil, explique la fille, là, il a été question de plein de choses, de philosophie et même de psychologie. C’était trop bien ».
15H30. Kassim que j’ai rencontré à la classe relais se tient devant le portail du collège. cette semaine, il est en stage. Il me salue. Il semble avoir déjà oublié le projet d’abécédaire que nous avons préparé ensemble avant de me lancer en partant :
« Revenez, Madame, vous verrez ! »
Promesses, promesses.
Ecrire est un sport de combat, mais ça, je le savais déjà.
Le soleil est de retour et de gros nuages blancs dans un ciel bleu. Tout le monde semble sorti dehors. le parking du centre culturel est plein de voitures et de gens !
Bourg-en-Bresse. Malgré les cheminots serviables et solidaires, mon sac n’est pas dans le train qui devait me le ramener.
Vendredi 30 mars 2018
Dans ma boîte mail, des nouvelles de Maryline, la maîtresse des CM2 de l’école de la Forge. Elle m’envoie cinq textes de ses élèves. Emotion en ouvrant le fichier, en retrouvant les textes que je connais, un peu modifiés, corrigés parfois. Joie.
Il y a :
- Je suis noire et alors ? – Bahija
- Le stylo et l’écrivain – Esma
- Un lynx retrouve la liberté – Yusuf
- Alice fait des bêtises – Déa
- Stop aux déchets par terre – Sarah
Pressée de revoir ces enfants et leur institutrice jeudi prochaine pour notre véritable dernière semaine.
Lyon Part-Dieu. Je récupère enfin mon sac tout au bout du quai C, juste à côté de la locomotive. Je n’ouvre pas tout de suite, je n’ose pas, un peu inquiète, exactement comme si je me trouvais sur le pas de la porte de ma maison tout juste cambriolée. Que mes affaires se soient glissées dans d’autres mains que les miennes, que ces mains-là aient pu remonter la fermeture Éclair de mon sac, se glisser dedans et toucher mes affaires me met dans un drôle d’état.
Plus tard, j’ouvre enfin. Tout est là. Mes cahiers dans lesquels j’inscris des idées, des bouts de textes. Mais pas mon couteau suisse pour me sauver la vie. Nostalgie.
Mon livre de la semaine.
Intéressant. Mais est-ce vraiment le livre qu’il me faut ?
Je n’en suis encore qu’au début. Il y a des livres qui sont si lents à lire.
Besoin d’une écriture, pas seulement d’une histoire.
Fin de la septième semaine. Drôle de semaine. Remue-ménage intérieur et grosse remise en question. Il faudra que la huitième semaine soit un peu moins rugueuse.
Je l’exige lumineuse.