Lundi 29 Janvier 2018.
Lyon Part-Dieu. Retard. 5, 10, 15, 20, 25 minutes. Dans le train, la contrôleuse évoque Simone qui fait des siennes et qui annonce Bourg en Bresse avec dix minutes d’avance. Simone ? Ben oui, la voix automatique, c’est comme ça qu’on l’appelle tous, dans tous les trains, dans toutes les gares. Correspondance loupée. Bourg en Bresse sous la pluie. La préposée à l’accueil a une voix douce d’hôtesse de l’air. Elle sort de son bocal quand les gens sont perdus à cause d’un billet mal flashé, d’un trajet trop cher, trop cher même avec la carte de réduction. Le mieux, c’est d’acheter son billet avec trois mois d’avance ! s’exclame la femme douceur. Le type bafouille, il a expliqué juste avant, qu’avec ses deux enfants, il va devoir aller souvent à Paris, un divorce, pas prévu, les allers-retours. Il se justifie, il n’a pas de visibilité à trois mois sur son emploi du temps. Impossible de prendre les devants, même en s’organisant, même en se démenant. Enfin, l’autocar. Surchauffé, mais le chauffeur prévenant, pas compliqué, même si dans les montées son car ultramoderne rame un peu. L’autoroute, la vallée, les usines de la plasturgie. Des femmes montent dans le car, une lycéenne en descend avec une énorme valise.
Carole, la responsable de la médiathèque d’Oyonnax, m’attend. Mine déconfite. Elle est à pied. Elle n’avait pas prévu que j’aurais une valise à roulettes et deux sacs à dos. Pas de problème, on se débrouille. Pause restaurant, puis enfin le centre culturel Louis Aragon d’Oyonnax jaune et rouge. Au fond, rien que de la brume. Il paraît que le soleil est plus haut, juste au-dessus de toute cette vapeur d’eau.
Bureau rouge et noir de Françoise Collet l’adjointe à la culture dans le centre Aragon. Je découvre très vite que nous avons un point commun : Pont-de-Vaux, sa ville de naissance, ma ville d’adoption pendant huit ans il y a quelques temps de ça, à l’autre bout du département de l’Ain, côté val de Saône. Avez-vous lu 325 000 francs de Roger Vailland ? Non. Alors, lisez-le, vous en apprendrez déjà pas mal sur ce qu’est la région. Je repars quelques minutes plus tard avec le livre dans les mains. Joie de découvrir un auteur que je n’avais jamais lu.
Mardi 30 janvier 2018
9H00. Je fais connaissance aujourd’hui avec Anne-Cécile, documentaliste, et Julie, prof de Français Langue Seconde (on dit aussi Langue Etrangère) au collège Rostand dans un CDI magnifique, un cocon baigné de lumière et de bonne humeur. Le projet des deux enseignantes m’enthousiasme. Il s’agit d’un atelier d’écriture qui va s’étaler sur plusieurs semaines et qui concerne les neuf élèves d’une classe de 6ème, sept garçons et deux filles qui viennent d’arriver en France. Le but : écrire une nouvelle, un court récit d’invention. Et ce qui me plaît encore plus : c’est l’énergie et la volonté d’Anne-Cécile et de Julie d’aboutir à quelque chose de beau dont les enfants seront fiers.
Dans la cour, Anne-Cécile me confie : « Le Teil, sous savez, je connais ! » « Le Teil, là où j’ai participé tout récemment à la résidence collective résistance Ceux qui ont dit non ? », je demande. « Oui, exactement là ». Anne-Cécile a lu mon blog, a reconnu des lieux, des gens. Oh lalala… si ça, ce n’est pas un bon début !
10H00. Carole me présente aux chefs des différents services du centre culturel.
10H15. Nous préparons la lecture-rencontre de mercredi prévue à la bibliothèque.
13H30. C’est le moment fort du jour. Je fais connaissance avec la classe de CM2b de l’école primaire de La Forge. Ils sont vingt-trois et pendant presqu’une heure trente, ils ne vont pas me lâcher.
Ils me questionnent sur mon petit livre « La tête de mon brochet» et pas que sur ça, sur le métier d’écrivain, sur l’inspiration. Aucune question niaise et même beaucoup de remarques pertinentes. Parfois, je leur renvoie leurs interrogations. Pas idée de la réponse ? A partir de vendredi, je travaille avec eux sur un autre projet d’écriture : des contes de sagesse ! Tout un programme ! L’heure passe très vite. A la fin, il y a encore plein de doigts levés, plein de questions. On se reverra bientôt, on se reverra souvent, je dis. Vous savez ? Oui, on sait, mais aujourd’hui, ça nous a vraiment fait plaisir de vous rencontrer, murmure Esma. Bouffée d’émotions. Plaisir partagé.
15H00. Ciné au centre culturel Aragon. Festival Télérama. « Faute d’amour » du cinéaste russe Andreï Zviaguintsev. Un film remarquable qui évoque une thématique qui m’est chère et que j’évoque notamment dans mon livre « Quand mon frère reviendra » : la relation parents/enfants dans une société individualiste où les adultes oublient leur rôle et leur responsabilité à l’égard de leurs enfants.
20H30. Cirque au centre culturel. Bosch dreams, la création d’une compagnie québécoise « Les sept doigts de la main « . Un spectacle qui plonge le spectateur dans l’univers du peintre Hieronymus Bosch.
Mercredi 31 janvier 2018
Magnifique journée ensoleillée. Je reprends le roman délaissé depuis quelques semaines faute de temps. Je relis. Qu’est-ce que c’est dur, ça coince, ça tire ! Je corrige quelques paragraphes. Puis je bloque. Je ne sais plus comment continuer. Entre deux plages d’écriture, je pars à la découverte d’Oyonnax. A un carrefour, puis à deux pas de la gare, j’ai la surprise de découvrir ma photo en grand sur des panneaux d’information municipale. La médiathèque a bien fait les choses. Ma bobine arrive juste après le minois parfait de Mélanie Thierry à l’affiche du film La douleur et d’une pub pour la prochaine braderie.
J’avance, je regarde, j’observe, je note tout.
Oyonnax est riche d’un passé industriel comme en témoigne la Grande vapeur. Une invention géniale du début du XXème siècle, à une époque où la ville, avant d’être plantée au coeur de la vallée du plastique, était spécialisée dans la production de peigne. Si, j’ai bien compris, la Grande Vapeur est une usine d’avant-garde composée d’une soixantaine de cabines qui étaient louées à des ouvriers, les « pièçards », qui, indépendants dans l’organisation de leur travail, avaient besoin d’un lieu de travail et d’électricité. Malheureusement, je ne peux pas visiter La Grande vapeur. Le lieu, classé Monument historique, a fermé le 7 janvier dernier. Il n’est pas ouvert toute l’année et n’a pas été réinvesti pour y installer un musée par exemple.
Les guerres ont également laissé des traces vivaces dans la ville : des noms de rue, des monuments, des écoles, des photos, des fresques et des parcs qui portent le nom de résistants.
17 heures. Lecture à la bibliothèque. Il n’y a pas foule. Il fait si beau dehors. Quand même, la salle n’est pas vide et, au premier rang, je reconnais les filles de l’école de la Forge qui me sourient. Mais mon public n’est pas vraiment ado.
Plus tard, une dame à la retraite me confie avoir les mêmes préoccupations que moi. Elle a été enseignante et a essayé tout au long de sa vie professionnelle d’appliquer les préceptes de Korczak, aider les enfants à devenir ce qu’ils sont vraiment.
Guy approche : il tenait à me rencontrer parce qu’il fait partie d’une association Chico Mendes qui oeuvre au Guatemala. En 2016, Guy s’est engagé dans une marche pour les arbres à travers la France. Il a parcouru 1 723 kilomètres en 62 jours, Je lui dédicace deux livres « Chico Mendes : Non à la déforestation« .
Jeudi 1er février 2018
Il a plu jusqu’au matin. J’ai entendu les gouttes rebondir toute la nuit sur la matière plastique du puits de lumière qui éclaire le couloir de l’appartement qui m’a été prêté par le centre culturel d’Oxyonnax. Mais ça ne m’a pas vraiment dérangée. L’impression d’habiter le sommet de l’arche de Noé gagné par les eaux.
Café, écriture. Je reprends possession de mon roman. Assise au bureau, dans le lit, sur le canapé. Il ne pleut plus. Quelques rayons, la montagne saupoudrée de neige au-dessus de nous.
Echange de SMS avec Audrey rencontrée lors de la résidence précédente au Teil en Ardèche dans le cadre de la collection Ceux qui ont dit non chez Actes Sud Junior. Il faut tenir, Audrey. Tenir.
13H00. Lydie de la médiathèque m’emmène au collège Jean Rostand. Lydie, petit minois au regard océan, attentive et souriante. C’est bon de sentir la gentillesse des gens avec soi. Lydie a collé un macaron « Coup de coeur de Lydie » sur l’exemplaire de mon livre « PARTIR » à la bibliothèque.
La cour de récré, casiers jaunes d’un côté, casiers bleus de l’autre. Je fais connaissance avec les neufs élèves de 6ème avec qui je vais avoir des rendez-vous réguliers jusqu’au mois d’avril. Nous nous installons sous la « nef » du CDI qui est une véritable cathédrale mais où on ne se sont pas trop petits, à sa place, entre les étagères, les poufs, les dessins et les ordinateurs. A eux, les jeunes, les fauteuils. A nous, les adultes, les chaises. Ils ont entre 11 et 13 ans et sont arrivés en France il y a quelques mois à peine. Ils viennent du Portugal comme Edmundo, d’Albanie comme Drita, du Sénégal comme Mamadou, d’Italie comme Najwa, Adam, Zakaria, Hamza, Mohamed, Walid.
Ils avancent, ils sortent du futsall et n’osent pas trop approcher Madame Isabelle. Je leur dis, c’est comme vous voulez, restez loin si vous voulez. Je me moque gentiment. Ils me sourient. Madame Isabelle, c’est moi !
Je sais qu’Anne-Cécile, la documentaliste, les a fait répéter, et que Julie, la prof de français langue seconde, les a préparés. Pas évident pour eux de se présenter devant moi qu’ils ne connaissent pas. Ils disent d’où ils viennent, quelles langues ils parlent, le marocain, l’arabe, l’italien, le français, l’albanais, le portugais, l’anglais, le peul, le wolof, etc. Ils sont tous polyglottes. Plus tard, je leur dis que c’est un trésor, ça, et qu’un trésor, ça se protège. Je leur dis aussi que je voudrais faire quelque chose de beau avec eux, quelque chose qui vienne d’eux et qui leur ressemble, quelque chose dont nous serons tous fiers après. Avec Anne-Cécile et Julie, on a une idée bien précise de ce quelque chose, mais on ne leur dit pas encore. On leur dira mardi. Là, on n’a plus de temps. Puis, j’ajoute : « à partir de maintenant, vous êtes tous écrivains » Je ne balance pas ces paroles en l’air comme ça pour leur plaire. Je leur lance un défi, leur explique que raconter des histoires n’est pas un privilège réservé aux premiers de la classe et que je leur fais confiance pour réfléchir à ce qui bat en eux et qu’ils auront envie de raconter.
Vendredi 2 février 2018.
Matinée d’écriture. Café, étirements.
Mon dos a besoin que je prenne soin de lui. Une newsletter m’annonce d’ailleurs qu’il y a pire pour sa santé que le tabac : la position assise.
Il neigeote sur Oyonnax. La météo prévoit un samedi sous la neige.
13H15. Rendez-vous avec Maria à la médiathèque. J’aime le sourire de Maria et son tempérament que je sens volcanique. D’habitude, Maria circule à vélo. Mais, là, pour moi, elle est à pied. Nous nous rendons à l’Ecole de la Forge.


Ils écrivent, lisent, s’interrogent. « Isabelle, c’est juste ou c’est faux? » L’important, c’est plutôt savoir ce qui est important pour toi, si important qu’il te faut l’écrire, le raconter d’une manière ou d’une autre.
Pas facile de faire comprendre à des enfants qui ont l’habitude d’être, dans notre système d’éducation, sans cesse évalués que ce que nous faisons ensemble se situe ailleurs. Je m’assure d’ailleurs auprès de Maryline que les enfants ne seront à aucun moment notés. L’enseignante me le confirme. Alors, je poursuis, rassurée. Pas de notes, juste la tentative de creuser en soi et de trouver les mots pour dire ce qui existe tout au fond de son être. Un défi.
Le bus quitte Oyonnax. Flocons de neige. Retour vers l’agglomération lyonnaise. Qu’est-ce qu’il fait gris sur Lyon. Heureuse de ce début de résidence. Gonflée à bloc par toutes ces rencontres.