Oyonnax, résidence, semaine deux

 

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Lundi 5 février 2018.

Neige. Des flocons partout sur Lyon qui n’est qu’une boule de nuage. Deuxième semaine.

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Alerte orange sur la route.

 

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J’ai des gants imperméables dans mon sac. Bouchons à la sortie de Lyon. Il faut se faire une place, ne pas se laisser marcher dessus, prévenir le danger de ceux qui n’attendent pas leur tour, les filous, les pressés, les salops. Je n’aime pas les agglomérations pour ça. Cette impression de ne pas pouvoir fuir si le danger menace. L’impression que seuls les plus forts, les plus rapides, les plus riches pourront s’en sortir.

 

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Neige, flocons drus sur la route. J’aime cette autoroute entre Lyon et Genève. Peu de voitures, des camions mais pas en masse comme sur l’autoroute qui va de Paris à Marseille. J’aime conduire, mais je n’aime pas les autres automobilistes surtout ceux qui vont très vite. Ignorent-ils que la mort est tout près ?

 

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Je retrouve Oyonnax.

 

 

 

 

 

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Des marchands sur le parking.

On vend des produits de maquillage, des valises, des écharpes, etc. Des femmes se pressent autour du vendeur de couscoussiers. Le marchand de tapis ne chôme pas non plus.

 

 

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Ecrire. Reprendre le texte. Se glisser dedans comme dans des bas.

 

Cinéma. « La douleur » d’Emmanuel Finkiel. J’ai reporté plusieurs fois cette séance tout en sachant que je ne peux pas y couper, que je veux voir ce film. Je sais d’avance les affinités de regard, de perception. Il y a de longues années de ça, j’avais beaucoup aimé le film « Voyages » de ce cinéaste. Mais là, j’ai 19 ans de plus et une vulnérabilité qui s’accroît avec le temps.  J’appréhende. Je n’ai pas de doute sur la qualité du film. Je crains plutôt ce qu’il malaxera en moi. La douleur, forcément, ça remue.

 

J’ai 47 ans et je suis la plus jeune dans la salle pleine de retraités, enfin, je crois. Je suppose que la plupart des hommes et des femmes qui m’entourent (qui à part des retraités et une écrivaine peut aller au cinéma un après-midi de semaine ?) sont nés pendant la guerre ou bien juste après. Ils se dépêchent de sortir dès les premiers instants du générique de fin. Je me dépêche d’attendre. Je les entends parler. je n’ai rien à dire. Juste envie d’un goûter.

 

Mardi 6 février 2018.

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Réveil trop tôt. Le bâtiment où j’habite fait parfois des bruits étranges. Je ne comprends pas d’où ils viennent. Du couloir ? De l’ascenseur derrière le mur ? Ce bâtiment est un ogre qui ne veut pas que je dorme trop profondément.

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Ecrire. Lutter contre le doute. Ecrire. Et si tout cela ne servait à rien ? Ce travail, cette position derrière le bureau, attachée à la chaise alors que, dehors, je pourrais marcher, regarder, observer, discuter. Etirements. Le soleil brille. Le dos souffre. Ecrire, quand les mots s’alignent correctement, je veux dire qu’ils racontent quelque chose et qu’ils chantent ensemble. ce n’est pas forcément joli ou mignon, mais juste. Le beau naît de ça, de ce qui est juste.

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Alarme dans la cuisine. Mon tableau de bord s’anime. Je descends au poste de garde. Le responsable de la sécurité me remercie d’être venue et me rassure. Pas grave, l’alarme. Un exercice. Mais si jamais (cela n’arrivera pas, me prévient-il) l’iode FEU s’embrase, je dois partir, filer dans les escaliers, d’accord ? Je dis « oui ». « Vous voyez, dit le responsable de la sécurité à ses deux apprentis qui se tiennent à côté de lui silencieux, Madame Collombat a fait ce qu’il faut faire! »

Préparer la rencontre de tout à l’heure, l’envisager, l’imaginer. Hâte de commencer.

13H00. Arbent, à côté d’Oyonnax. Collège Jean Rostand.CDI. Anne-Cécile, la documentaliste, s’est habillée en vert, sa couleur préférée, et ça lui va bien. Julie, la prof de français, arrive. Le bleu de sa jupe est  assorti aux sièges. Bleu et vert s’accordent bien. Les enfants arrivent. Ils sont fatigués. Dans trois jours, les vacances. Et moi qui les interpelle avec mes questions difficiles à comprendre. Les répéter, les reformuler. Expliquer ce qu’on va faire. Des histoires qu’ils enregistreront à la radio et qu’on imprimera dans un livre. Leur dire ce qu’on attend d’eux. Etablir ensemble un thème commun à leurs histoires. Walid a déjà commencé à écrire une histoire. Zakari s’inquiète. le français, il le maîtrise moins bien à l’écrit. Et s’il ne trouve pas les mots ? Vertige. Je le rassure. On ne le laissera pas. Ce recueil d’histoires, c’est une oeuvre collective, pas une course d’individus lancés les uns contre les autres.

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On note des mots et des couleurs.

 

 

 

 

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14H15. On vote. On parle. Génial. Voilà, c’est décidé, ils ont choisi le thème de leurs histoires :

LA RENCONTRE

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14H25. Anne-Cécile me raccompagne. J’ai écorché son prénom dans mon journal la semaine dernière. Je dois rectifier. Ce sera fait, bien sûr. Ecrire, c’est une histoire d’urgence souvent pour moi. Coquilles. Mince ! Prendre une épuisette et les ramasser. Ecrire, c’est souvent corriger ses erreurs.

Carole, la responsable de la médiathèque d’Oyonnax, a la gentillesse de venir me chercher. Elle a enlevé son manteau. Il fait presque doux dans la cour ensoleillée du collège. je remarque que les casiers ne sont pas jaunes et bleus comme je l’ai écrit, mais jaunes d’un côté, violet et vert d’eau de l’autre, à moins que je ne sois daltonienne.

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Détour par l’office du Tourisme. Un plan, des prospectus. J’ai plein d’envies, mais ai-je le temps ? Ecrire prend souvent toute la place. Un fromager de passage me glisse un tract. Bien envie de raconter une histoire avec du fromage dedans.
Musée du peigne au centre culturel.

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Rien que ce mot « peigne », j’ai pensé : est-ce bien cet objet auquel je pense ?

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De capitale du peigne, Oyonnax est devenue la capitale de la plasturgie. C’est un enjeu pour cette vallée d’être fidèle au beau d’antan, le beau geste, le bel objet, les beaux sentiments.IMG_5392 (1)

 

 

 

 

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Mercredi 7 février

Pause au milieu de la semaine. Aller-retour à Lyon. Il n’y a pas de pause pour l’écriture.

Je repense aux enfants du collège, à ceux de l’école primaire que je vais revoir vendredi. Comment leur transmettre ma passion ? Comment faire naître chez eux des idées, des images, des mots ?

 

Jeudi 8 février 2018

Verglas. Trottoirs sablés. Une brume enveloppe Oyonnax. Du gris. Mon téléphone portable m’indique pourtant que le soleil devrait faire son apparition. Fiction. Les applications sont parfois des usines à rêve.

Je lis sur Médiapart que des associations et des opposants au projet de tunnel ferroviaire Lyon-Turin ont déposé de nouveaux recours contre la prorogation de la déclaration d’utilité publique. Ils pointent notamment des approximations autour du coût du projet et l’absence de financements d’un projet très très cher. A la fin de son article, la journaliste note : « Toutes les failles démocratiques mises en exergue par les médiateurs au sujet de l’aéroport de Notre-Dame-des-landes (mauvaise information du public, absence d’étude sérieuse d’alternatives, vision biaisée de l’intérêt général) se retrouvent dans le dossier du Lyon-Turin. »  Deux sujets que j’évoque dans mon livre Des héros pour la terre.

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IMG_5414 (1)Le centre culturel est une ruche en cette fin d’après-midi. Des parents, des enfants vont et viennent. Conservatoire, café des artistes. La médiathèque ne désemplit pas et les livres s’accumulent sur la table des retours. Des papas, des mamans lisent des histoires à leurs enfants. Dans le secteur adulte, un lycéen se fait expliquer un cours.

 

Retour derrière mon ordinateur. Quelqu’un joue du piano quelque part dans le bâtiment. La lettre à Elise. Un classique qui s’écoute toujours avec plaisir.

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Vendredi 9 février 2018

5H30. Commencer à écrire quand il fait encore nuit, quand la plupart des gens dorment encore. Enfin, il y a beaucoup de gens qui partent travailler tôt, qui se lèvent au milieu de la nuit pour rejoindre une usine, un bureau et dont les horaires sont décalés, à contretemps. Juste une petite lampe et le silence. Il y a des moments dans la journée où les mots s’alignent les uns à la suite des autres plus aisément, plus rapidement.

Des étirements encore et toujours. Changer de position. Ne pas oublier de se lever, de marcher. Mon dos tire, ma colonne parle. Je dois l’écouter.

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Dans le journal Le Parisien, je lis que « Plusieurs avocats ont adressé jeudi soir au procureur de Paris une liste nominative de 128 mineurs en «danger grave et immédiat pour leur santé physique et psychique». » C’est un sujet qui me révolte et qui m’a fait écrire « Janusz Korczak: « Non au mépris de l’enfance« . Ces 128 jeunes sont encore des enfants. La plupart ont entre 13 et 17 ans et supplient leurs avocats de leur trouver un toit. Je ne comprends pas que notre pays refuse d’appliquer la loi en ne prenant pas en charge les mineurs sous prétexte qu’ils ont étrangers. C’est une violation de notre droit et de la Convention internationale des droits de l’enfant. L’Etat doit protection aux mineurs quelle que soit leur nationalité. Réalité intolérable à laquelle nous les citoyens nous sommes habitués. Heureusement qu’il y a des gens qui, à Paris et ailleurs, se mobilisent, hébergent, nourrissent, aident.

Bricolage d’écrivain. Papier, agrafeuse. Je prépare ma rencontre avec les enfants de l’école de la Forge. Fabrication d’un petit carnet que je leur demanderai de remplir en fonction de mes consignes.

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13H15. Soleil, lumière. Départ avec Maria de la médiathèque pour l’Ecole de la Forge. Il y a des absents aujourd’hui dans la classe. Je m’attends à trouver des enfants turbulents pour cause de vacances qui arrivent dès ce soir, mais non, tout le monde est calme et concentré. On repart sur leurs contes de sagesse. J’en lis un très court pour donner le ton.

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IMG_5488Puis, nous repartons sur les projets de chaque enfant. Je veux m’assurer du message qu’ils veulent faire passer. Je leur confie que lorsque j’écris je me pose souvent la même question : « Qu’est-ce que je veux vraiment raconter ? » Certains me préviennent : ils ont déjà commencé à écrire, d’autres ont continué à se pencher sur la construction de leur histoire. Je les rassure. Ils n’ont pas travaillé pour rien.

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Régulièrement, je demande aux enfants s’ils ont des IMG_5479suggestions pour aider l’un de leurs camarades qui peine un peu. A chaque fois, les doigts se lèvent et les enfants  qui ont écouté les autres avec attention s’expriment et échangent des idées, des expériences.

 

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15H15. Maryline, la maîtresse, m’indique que l’heure a filé et que j’ai dépassé l’horaire. Mince ! Je ne m’en étais pas aperçue. C’est tellement agréable de travailler avec ses élèves. D’ailleurs, ils continuent de me poser des questions. mais il faut se quitter.

 

 

Avec Maria, nous repartons, heureuse de ce moment intense et unique, merveilleux.

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Retour vers Lyon. Fin de la deuxième semaine. Pendant les vacances, la résidence est en pause. Je reviens à Oyonnax dans quinze jours.

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